La Démocratie universelle. Philosophie d’un modèle politique, Paris, Seuil, « La couleur des idées », 2016, 368 p.
Comment en est-on venu à considérer que la démocratie pouvait être exportable ? Comment en est-on venu à penser qu’il suffisait de renverser un régime autoritaire pour que la démocratie s’installe, voire, comme en Irak en 2003, d’envahir un pays pour le libérer ? Sans doute parce que nous sommes spontanément convaincus que la démocratie est un régime universalisable et qu’elle est l’expression d’un désir de liberté que l’on comprend comme naturel. Ces convictions sont souvent confuses, mais il n’empêche qu’elles sont assez fortement ancrées pour déterminer dans une large mesure la représentation qu’ont d’eux-mêmes les États occidentaux et les politiques étrangères qu’ils peuvent mettre en place.
L’objet de ce livre est de réfléchir aux présupposés de ces convictions, de montrer comment elles se sont établies et d’en mesurer certains effets. Dans une double démarche, à la fois historique et typologique, il s’arrête sur les différentes manières de considérer la démocratie comme un modèle et d’envisager les conditions d’application de celui-ci. Il se demande comment la démocratisation a été pensée dans la philosophie politique depuis Platon et compare les différentes voies proposées afin de mesurer leur plus ou moins grande pertinence.
L’universel s’est introduit dans la pensée politique à la Révolution française, lorsque les droits de l’homme ont été proclamés. La conception de la démocratie en a été largement transformée. Avant 1789, dans les temps anciens et à l’âge classique, la démocratie est un modèle politique, mais qu’on ne conçoit comme généralisable que sous certaines conditions. Au 19ème et au 20ème siècles, on s’appuie sur le sens de l’histoire et sur une définition restrictive de la démocratie pour un faire un régime universalisable. La démocratie occidentale devient alors exportable, puisqu’on juge que c’est elle qui réalise les aspirations de la modernité.
La critique postcoloniale a largement montré les limites et les coûts de cette modélisation. Mais le scepticisme auquel elle a donné lieu n’est pas satisfaisant. Comprendre aujourd’hui l’expansion de la démocratie suppose qu’on prenne en compte les nouvelles formes que prend l’universalisme démocratique aujourd’hui, en évitant à la fois le dogmatisme d’un modèle imposé au monde et le relativisme qui empêche de voir que les nations s’imitent et s’inspirent les unes des autres. La démocratie est aujourd’hui le nom d’un idéal d’émancipation appropriable et mondialisé. Elle n’est ni un paradigme idéal, ni une réalité singulière qu’il faudrait généraliser.
