« Réalisme direct » ou « perceptuel », « matérialisme spéculatif », « ontologie orientée objet », « naturalisation du transcendantal »… La philosophie contemporaine connaîtrait-elle son moment réaliste ? Derrière ces positions en vérité bien hétérogènes, on trouve un refus commun : celui de l’interprétationnisme, et plus encore du relativisme qui en serait la conséquence naturelle. Qu’une chose ne puisse être envisagée en dehors de la représentation que nous en formons, indépendamment du contexte épistémique qui nous y donne accès, voilà qui semble en effet condamner toute tentative de parler des choses absolument. Reste alors à élucider les conditions qui nous permettent de nous relier à la réalité : structures intentionnelles de la conscience, schèmes conceptuels, formes symboliques et jeux de langage, institutions et constructions sociales, etc. De tout cela, on peut parler concrètement, et même empiriquement. C’est pourquoi l’idéalisme le plus solidement ancré s’accompagne volontiers, en pratique, de robustes professions de foi réalistes.
Mais les « nouveaux réalistes » se veulent réellement réalistes. Non seulement ils affirment que le réel n’est pas forclos, que nous l’atteignons bien d’une certaine façon lui-même, mais ils entendent parler des choses en soi, dans leur diversité innombrable. En considérant les choses à l’état sauvage, en deçà des modes par lesquels des sujets humains les appréhendent comme objets et les conforment à leur monde, ils renouent avec le thème galiléen de l’« indifférente nature ». Si l’anthropocentrisme est la vérité de tout idéalisme, le passage par le naturalisme et la cosmologie remplit une fonction stratégique, tout comme le pluralisme anthropologique ou la cognition animale, à condition de ne pas confondre le perspectivisme avec un relativisme.
Au-delà de ses versions les plus ouvertement spéculatives, le retournement réaliste est sensible dans tous les quartiers de la philosophie contemporaine, en régime analytique aussi bien que phénoménologique, continental ou français. Il se conjugue, ce qui ne va pas nécessairement de soi, avec un retour de la métaphysique – une métaphysique qui refuse d’identifier d’emblée la question de l’être avec celle de son sens. Mais de quoi la pensée peut-elle s’autoriser lorsqu’elle s’aventure au-delà de l’évidence obscure qu’« il y a » des choses ?
Trente-deux intervenants français et étrangers, quatorze tables rondes et trois grandes conférences permettront de faire le point sur ces problèmes. Distribuées sur trois sites parisiens, ces journées constituent à leur manière des états généraux de la métaphysique contemporaine.
Emmanuel Alloa & Elie During