Nicolas Correard, « Du scandale du Mal au scandale de la Providence : Lucien de Samosate et l’“athéisme” dans l’Europe humaniste », Nouvelle revue du Seizième siècle, n° 17/3, 2021, p. 29-65.
Résumé : Revenant sur la vaste question historiographique de la possibilité de l’athéisme à la Renaissance, ce travail examine à nouveaux frais l’importance du corpus lucianesque : pour la première fois, il reconstitue la série intégrale des dialogues des dieux imités de Lucien dans lesquels l’existence d’une providence divine se trouve mise en question, d’Alberti à Giordano Bruno. L’interprétation d’une douzaine de dialogues, écrits en plusieurs langues, débouche sur le constat d’une hétérogénéité des positions, mais d’un questionnement commun à tous les auteurs, qui doutent de l’existence d’une providence quand ils ne la raillent pas franchement, ce qui correspond, bien plus que le doute sur l’existence de Dieu ou sa négation, à la catégorie d’athéisme tels que la définissent tous les apologètes contemporains, catholiques ou réformés. L’étude littéraire permet donc de répondre positivement à la question de la réalité de l’« athéisme » de certains humanistes, entendu au sens de l’époque, et seule l’étude littéraire le permet : censure oblige, de telles idées ne s’expriment que dans des fictions érudites caractérisés par leur complexité et leur poétique de la dissimulation, ce qui renverse aussi le présupposé des études de réception, victimes d’un prisme trop littéraire (on n’évoque pas la providence parce qu’on imite Lucien ; on imite Lucien pour critiquer les positions théologiques traditionnelles sur la Providence).