A paraître dans : “La Licorne” – Revue de langue et de littérature française, Rennes : Presses universitaires de Rennes.
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Résumé : Pour Marcel Proust, le diplomate-écrivain est celui qui fait naître l’émotion en la dissimulant. Le Narrateur prend l’exemple d’un diplomate qui doit annoncer la mort d’un jeune soldat et dont la retenue ne fera qu’accroître la charge émotionnelle contenue dans la nouvelle 1. Dans cet art de la réserve, il y a un programme esthétique-« Less is more »-qui peut être transposé dans le domaine de l’éthique. L’empathie avec la souffrance d’autrui s’accorde mieux avec la pudeur dans l’expression. L’empathie est la faculté d’éprouver l’état intérieur d’autrui-émotions, sentiments-à l’unisson. Le mot vient du grec et signifie sentir ou souffrir. En grec ancien, l’adjectif existe, pour l’opposer à « apathique », mais le substantif n’existe pas. La pitié, dans la Poétique d’Aristote, se dit ἔλεος en grec classique, mais ἐλεημοσύνη en grec tardif, avec des hésitations, au sens d’avoir pitié de quelqu’un, faire la charité… et on le trouve aussi dans les Béatitudes, ce que l’on traduit généralement par « heureux les miséricordieux ». Empathie, pitié, compassion, charité, ont des sens voisins. Dans « pitié » et « compassion », la notion de douleur est davantage présente. La fortune du mot « empathie » est récente. Après les réflexions de Hume et Smith sur la sympathie, celles de Rousseau sur la pitié, Robert Vischer a créé le concept d’Einfühlung dans le domaine esthétique 2 dans sa thèse de doctorat en 1872, un terme traduit ensuite en français au moyen de la racine grecque, pour créer le néologisme « empathie », comme Thomas More avait inventé « utopie » (1516). Puis, tandis que les synonymes disparaissaient avec leurs préfixes (Mit-Zu, etc.), la psychologie et les sciences cognitives se sont saisies du concept. Les troubles de l’empathie (désempathie du bourreau, syndrome E en jeu dans les massacres de masse) mobilisent l’énergie d’équipes pluridisciplinaires