République des Savoirs

Laboratoire transdisciplinaire du CNRS, ENS et du Collège de France

Journée d’étude « L’Essai français et les essais du monde »


Détails de l’événement

Cet événement s’est terminé le 21 février 2021


Journée d’étude

« L’essai français et les essais du monde »

21 février 2021, 9h30-17h30

Si la situation le permet,
événement en distanciel et en présentiel

Organisatrices:
Jiening MA (IHMC/ED540) et Yue HU (République des savoirs/ED540)

Adresse :
ENS – 45, rue d’Ulm – Paris Vème
Couloir Jaune

Présentation de la journée

Programme

PANEL 1 9 : 30 – 12 : 30
La genèse de l’essai en France, sa succession et sa résonnance

1. NAISSANCE DE L’ESSAI ET NAISSANCE DE L’IDENTITÉ MODERNE

Cette communication remet en question la contradiction entre la subjectivité de l’œuvre et sa collectivité. Mais s’agit-il réellement d’une disparition ? Nombreuses sont les pages des Essais où l’identité personnelle est en effet appréhendée par Montaigne comme un maillage complexe où se mêlent, au tempérament, la coutume – cette « seconde nature » –, les déterminismes politiques, sociaux, ainsi que nos rapports à autrui. Ici résiderait la véritable nouveauté philosophique, plutôt que dans le recours à la citation: l’identité personnelle se construirait dans l’essai montaignien à travers l’altérité et l’étrangeté, grâce à l’aspect monologique et polyphonique de la forme. Marion Bet souhaite souhaitons montrer qu’il ne s’agit pas là d’un hasard, et qu’une forme générique a pu faire naître une problématisation moderne de ce que signifie être soi.

Marion Bet, agrégée de Lettres modernes, est diplômée en Philosophie et en Science politique. elle a commencé en septembre 2019 une thèse ayant pour titre « Naissance de l’identité : la forme maistresse dans les Essais de Montaigne » à l’EHESS, sous la direction de Frédéric Brahami. Elle enseigne également en licence de Lettres modernes à l’Université Paris Nanterre.

2. MONTAIGNE, ESSAYISTE AVANT LA LETTRE ? ESQUISSE DE L’ETAT DE LA QUESTION SUR LE STATUT GENERIQUE DES “CHAPITRES” DES ESSAIS

Comment Montaigne at-t-il créé l’essai, tout en ne pas y associant une catégorie littéraire ? Dans l’abondante littérature critique consacrée à l’étude des spécificités de l’essai montanien, trois approches traditionnelles peuvent être distinguées. Depuis les travaux pionniers de Hamel (1959), de Blinkenberg (1964), de Telle (1968) et de Nacas (1980) sur l’usage que Montaigne fait du mot essai (du lat. exagium, « balance, pesée, mesure exacte et prélèvement d’un échantillon »), l’approche lexicologique a eu tendance à ranger son sens en quatre groupes (I, « examen, épreuve, mise à l’épreuve » ; II, « expérience » ; III, « dégustation, échantillon, spécimen »; IV « coup d’essai, tentative, exercice, travail d’apprenti, d’écolier »), qui ne cessent pas pour autant de se superposer dans les Essais. Les travaux métaphorologiques, dédiés à l’étude des images forgées par Montaigne pour décrire son livre (« mes pièces » (II, 2), « ces mémoires » (III, 9), mes « songes » (III, 3) et « resveries (II, 10), qu’il appelle, avec une ironie dédaigneuse, « excremens d’un vieil esprit » (III, 9), « marqueterie mal jointe » (III, 9), « rapsodie » (I, 13), « fagotage de tant de diverses pieces » (II, 37) », « fricassée » (III, 13), « crotesques et corps monstrueux » (I, 28), « herbes sauvages et inutiles » (I, 8), etc…), concrétisent la pluralisation du mot « essai » et sa réversibilité axiologique, qui, selon qu’il est placé sous la logique du paradoxe provocateur, est valorisée en protestation de singularité. Traduisant le phénomène de recyclage, ces métaphores du livre sont le point d’ancrage des travaux généalogiques, qui étudient la situation et le caractère subversif des Essais dans leur rapport aux modèles antiques et modernes.

Or, quand Montaigne parle d’ « essais » ou de « [s]es essais », il fait selon Gisèle Mathieu- Castellani (1988, 8 sq.) référence soit au livre, soit aux chapitres, soit au genre, et, le plus souvent, aux essais de ses facultés naturelles, de son jugement, et de sa vie. Tandis que de nombreux montaignistes tiennent l’équivalence entre les termes « chapitres » et « essais » pour acquise, des chercheurs comme F. Goyet argumentent contre cette prémisse de synonymie en alléguant que l’essai au sens montanien n’est rien d’autre que le jugement au travail, en effort. À partir d’une discussion de l’état de la question du statut générique des « chapitres » dans les Essais, notre communication vise à sensibiliser à la polysémie de la notion d’ « essayiste » et à tirer au clair la tension entre méthode et genre, manière et matière, mode de pensée et forme de la pensée, processus et produit qui régit l’œuvre montanienne.

Rebekka Martic est assistante rattachée à la chaire de littérature ancienne au Séminaire d’Études françaises et francophones de l’Université de Bâle (Suisse) et prépare, sous le régime de cotutelle avec l’Université de Poitiers, une thèse de doctorat intitulée « Curiosité et cure de soi dans le penser de Montaigne ».

3. L’ESSAYISTE THEOPHILE DE VIAU : LA PREMIERE JOURNEE, UNE « CONVERSATION DIVERSE ET INTERROMPUE »

Noluenn Cassaert présente Théophile de Viau, poète plutôt que philosophe, et sa Première journée. Elle aimerait montrer que cette œuvre de Théophile constitue une tentative originale de moderniser Montaigne, de réinvestir par la poésie et la fiction l’essai montaignien.

Noluenn Cassaert est doctorante à la faculté de lettres à l’Université de Gand (Belgique). Elle a un
master français-latin et un master de recherche en littérature.

4. MICHEL LEIRIS ET L’« ESSAI AUTOBIOGRAPHIQUE »

Salué à sa mort comme « un Montaigne surréaliste » (Le Monde, 2 octobre 1990), Michel Leiris s’est lui-même défini, non sans une certaine ironie, comme « l’auteur d’honnêtes essais autobiographiques qui feront peut-être figure de défense et illustration de ce genre littéraire » (Fibrilles, p. 256). Il semble que, dès les prémices de son projet autobiographique, la forme de l’essai ait fait figure de modèle pour Leiris (par ailleurs auteur de nombreux essais critiques portant sur la peinture, l’opéra, la tauromachie, etc.), ce qui invite à prendre au sérieux cette notion d’essai autobiographique qu’il a forgée pour caractériser son entreprise. Peut-on, de leur filiation historique et de leur parenté énonciative (énonciation à la première personne, à visée référentielle), conclure à une convergence générique de l’essai et de l’autobiographie ?

Jean Tufféry, agrégé de Lettres moderne, est doctorant contractuel à Sorbonne Université. Préparation d’une thèse de doctorat intitulée « Michel Leiris autobiographe au présent. Présent et présence dans La Règle du jeu ».

5. LA RESONANCE DES ESSAIS DE MONTAIGNE DANS LES ESSAIS DE QUIGNARD

Les Petits traités de Pascal Quignard présentent un assemblage non conventionnel de formes brèves qui condensent la réflexion, en la dotant de l’éclat et de la fugacité des feux d’artifice (les maximes, les sentences, les aphorismes) ; qui recherchent le sens profond des mots, en jouant sur leurs connotations latentes (l’anecdote, le trait d’esprit, le fait divers) ; qui traduisent le jet de la pensée, en fractionnant le récit (le conte, le mythe, la reprise). Cette prose érudite est ancrée dans la grande tradition intellectuelle européenne : les textes fondateurs de l’Antiquité ; les essais de Montaigne ; les écrits des moralistes de Port-Royal ; les mélanges des honnêtes hommes ; la critique de la Modernité. La résonance des Essais de Montaigne est très sensible dans les Petits traités. La communication se propose d’élucider, dans un premier temps, les multiples raisons de la prédilection de l’écrivain pour cette variante de l’essai : l’attitude critique envers la modernité et ses manifestations exhaustives et achevées ; la réaction « antiphilosophique » d’un penseur qui s’oppose à l’expression cartésienne ; le rejet de tout ce qui prétend à l’universalité ; le désir de retourner au primitif, à l’inachevé, au sauvage ; l’intérêt pour ce qui semble insignifiant ; le refus de figer le langage. Elle tentera de prouver, dans un deuxième temps, que le petit traité s’avère particulièrement approprié pour juxtaposer des matières marginales et occasionnelles aux sujets sublimes et éternels. Afin de démontrer, enfin, qu’au lieu de tenter de réconcilier le « haut » et le « bas », Quignard cherche à les assembler d’une manière insolite, en opérant le « bricolage intellectuel » (Lévi-Strauss) caractéristique de la pensée mythique.

Irène Kristeva, Professeur des universités, enseigne la théorie et la pratique de la traduction et la littérature française à l’Université de Sofia. Titulaire d’un doctorat de 3e cycle de Sémiologie du Texte et de l’Image, délivré par l’Université de Paris 7, et d’un doctorat d’Etat de Traductologie, soutenu à l’Université de Sofia, elle est l’auteur notamment de Pascal Quignard : la fascination du fragmentaire (2008), Pour comprendre la traduction (2009), Les Métamorphoses d’Hermès (en bulgare, 2015), et Détours de Babel (en bulgare, 2017). Traductrice du français et de l’italien. Membre de la SoFT. Auditrice libre de l’association Espace Analytique. Dame de l’Ordre de Saint Silvestre.

PANEL 2 14 : 30 – 17 : 30

L’essai dans le monde et son genre

6. LE RECOURS A L’ESSAI : PENSER LA TENTATION DU MONDE DANS L’ART POETIQUE DE PAUL CLAUDEL

La communication de Pamela Krause a pour objectif d’examiner l’essai tel que pratiqué par
Paul Claudel dans son Art poétique (1907). Elle vise donc d’abord à examiner en quoi l’essai se caractérise par une indétermination formelle et conceptuelle, mêlant une clarté argumentative et conceptuelle (empruntée à la scolastique, au spinozisme, à l’aristotélisme) à une obscurité expressive (l’abondance des images poétiques, souvent hermétiques ; la contradiction expresse des propositions avancées…). Il s’agit ensuite de voir en quoi cette dualité exprime au mieux la difficulté inhérente au sujet traité par Claudel : la difficile cohésion d’un monde.

Pamela Krause est doctorante en littérature française à Sorbonne université (dir. Christian Doumet) dans le cadre du laboratoire CELLF (Centre d’étude de la langue et des littératures françaises) en cotutelle avec le département de philosophie de l’Université Catholique du Louvain (dir. Jean Leclercq).

7. PEUT-ON COMPARER L’ESSAI FRANÇAIS ET L’ESSAI ANGLAIS ?

—— L’ESSAI ANGLAIS AU XXE SIECLE DEVANT MONTAIGNE : ANALYSE STYLISTIQUE COMPAREE DES ESSAIS DE MONTAIGNE ET DES ESSAYS DE VIRGINIA WOOLF
Montaigne se révèle une référence majeure dans ses écrits sur le genre de l’essai, du premier en 1905, « The Decay of Essay Writing », où il est rappelé comme l’inventeur de « la plus marquante

des innovations littéraires », « l’essai personnel », à l’essai « Montaigne » présent dans son premier recueil d’essais publié The Common Reader (1925), jusqu’aux derniers essais, tel « Reviewing » (1939), où elle plaide pour que les journaux favorisent le renouveau de l’essai en mettant à disposition plus d’espace dans leurs rubriques : « Un Montaigne se cache peut-être parmi nous […]. Avec du temps et de l’espace, il pourrait renaître, et avec lui une forme d’art admirable ». Jusqu’où peut-on comparer l’essai français et l’essai anglais ? Par la méthode de la comparaison entre les œuvres de Montaigne et de Virginia Woolf pour constater variations ou divergences, Julitte Stioui repose la question d’éventuels éléments poétiques définitoires du genre de l’essai au-delà des différences historiques et géographiques entre les œuvres, dont ceux de la présence du « Je » de l’essayiste, considéré comme l’élément le plus central de l’essai personnel, du type de discours de l’essai et de sa structure, et de l’objet culturel sur lequel il porte.

Julitte Stioui, professeure agrégée de Lettres Modernes, actuellement A.T.E.R. à l’Université Paris- Est Créteil depuis deux ans, est en dernière année de thèse de littérature générale et comparée sur le genre de l’essai personnel et la poétique de la lecture dans les Essais de Montaigne et de Virginia Woolf, sous la direction de Vincent Ferré.

8. L’ENTENTE GENERIQUE DE L’ESSAI ET DU ROMAN : EXPRESSION D’UNE PENSEE FLUCTUANTE A CONTRE-COURANT

Issu du mot latin exagium, qui donnera dans un premier temps le mot « assai » en français, le terme ‘essai’ désignait tout d’abord une unité de mesure à l’époque où Montaigne s’en inspirait pour déboucher sur une nouvelle manière d’écrire et de penser. Avant de devenir une nouvelle manière d’écrire et de penser avec Montaigne, ou encore une méthode particulière d’investigation intellectuelle avec Bacon, l’essai désignait donc, en premier lieu, l’acte de peser et d’évaluer les monnaies. L’écriture de l’essai tire ainsi sa singularité de l’activité de soupeser les idées, les concepts, les images, afin d’en évaluer la valeur et le poids. Autrement dit, l’essai semble être l’expression formelle par excellence de considérations qui portent sur le poids des choses et la valeur qu’on leur attribue. Mais si l’on poursuit la métaphore selon laquelle l’essai soupèse les idées comme on peut peser et évaluer les monnaies, alors on se rend compte que l’essai participe de la quête de « la relativité des choses humaines », pour reprendre l’expression de Milan Kundera. Cette référence n’est d’ailleurs pas le fruit du hasard, car ce goût pour la relativité marque le terrain d’entente du roman et de l’essai. Florian Beauvallet propose donc d’étudier l’entente générique de l’essai et du roman afin d’examiner la complémentarité de ces deux formes débridées qui donnent à voir, chez certains auteurs (Kundera, Musil, Thirlwell, Diderot), l’expression d’un esprit moderne à contre-courant.

Florian Beauvallet, docteur en littératures de langue anglaise, est enseignant à l’Université de Rouen. Il poursuit des recherches sur l’art et l’histoire du roman. Il a notamment consacré sa thèse à l’œuvre du romancier britannique Adam Thirlwell.

9. ASTRONOMIE PHILOSOPHICO-LITTERAIRE : SUR LES ESSAIS COSMOGRAPHIQUES

Sur le plan terminologique, le genre des essais fait parfois référence au ciel et aux objets du cosmos, comme les étoiles et leur regroupement sous forme de constellations. Le lecteur est enclin à s’étonner de l’apparition de tels éléments dans des textes plutôt argumentatifs, à finalité démonstrative, en philosophie. Ces références au cosmos, souvent métaphoriques, dans les essais, permettent bien à des auteurs d’approfondir leurs pensées, comme c’est le cas des philosophes Emmanuel Kant et Gaston Bachelard. Cet exposé vise à définir le genre de certains essais, que Céline Richard propose de qualifier d’essais cosmographiques. A cette fin, il convient naturellement de commencer par définir ce qu’il est possible d’entendre par les mots « cosmographie » et « cosmopoésie ». Pour ce faire, sa réflexion aura pour point d’ancrage les travaux du philologue helléniste et archéologue Jean- Antoine Letronne, un essai de l’astronome Johannes Kepler, ainsi qu’une publication beaucoup plus récente du professeur de littérature anglaise Florian Klaeger.

Céline Richard est en quatrième année de thèse. Sa thèse est sur l’écriture littéraire au nom des droits humains, intitulée : « L’encre des étoiles. L’écriture littéraire au nom des droits humains : mémoire traumatique, disparition, survivance (Amérique latine & pays francophones) ».