République des Savoirs

Laboratoire transdisciplinaire du CNRS, ENS et du Collège de France

Séminaire Cavaillès (2020-2021)


Détails de l’événement

Cet événement s’est terminé le 02 juin 2021


« Séminaire Cavaillès »

2020-2021

13h30-15h30

Séminaire en visio-conférence jusqu’à nouvel ordre

organisé par
Thomas Heams (AgroParisTech), Gérard Lambert et
Caroline Petit (CNRS, République des savoirs, Centre Cavaillès)

Présentation du séminaire Cavaillès

Perpétuant les orientations impulsées par Jean-Jacques Kupiec lors de sa création, le séminaire Cavaillès se donne pour objet l’histoire et la philosophie des sciences du vivant. Une fois par mois un acteur des sciences expérimentales ou humaines est invité à y présenter ses travaux et réflexions. Le séminaire se veut ouvert à toutes et à tous, avec l’objectif de croiser les regards, partager les connaissances et favoriser les échanges sur un large spectre de thématiques et de questions. Il entend être le témoin de la vitalité, l’actualité et la fertilité des recherches en épistémologie historique des sciences biomédicales, ainsi que de leur incidence sur les débats scientifiques contemporains.

Programme

7 octobre 2020, séance en visio-conférence
Catherine BOURGAIN (Inserm, CERMES 3 – Villejuif)
Au-delà de la technologie, travailler à la fiabilité de la prédiction génétique
Qu’il s’agisse de santé, d’ancestralité ou de police, les promesses fleurissent qui véhiculent l’image de prédictions génétiques fiables, car « scientifiquement prouvées ». Pourtant, dans tous ces domaines, les incertitudes qui accompagnent les démarches de prédiction sont nombreuses, comme en atteste la place prépondérante prise par les statistiques dans les résultats d’analyse génétique.
Au cours de cette présentation, je mobiliserai l’analyse de deux contextes de soin, dans lesquels la prédiction génétique est pratiquée de longue date, pour analyser quelques enjeux sociaux et politiques de la prédiction génétique : la génétique des maladies rares et l’oncogénétique.
Je montrerai que cette image des technologies génomiques comme productrices de prédictions fiables n’est pas uniquement la conséquence de promesses technoscientifiques et commerciales. Elle résulte également de l’important travail réalisé par les professionnels experts pour contrôler ces incertitudes, et rendre possible la décision médicale. Ces stratégies de gestion de l’incertitude ne sont pas homogènes. Elles tiennent compte des contraintes cliniques, scientifiques et institutionnelles spécifiques aux maladies et aux formes de prises de charge existantes.
Ainsi organisée, la prédiction génétique est à rebours d’une approche mathématique, qui serait strictement technologique et automatisable. Mais, parce que ce travail pour contenir l’incertitude est peu visible et difficilement quantifiable, c’est aux technologies génomiques sorties de leur contexte que tend à revenir le mérite de la qualité des prédictions. Par ce processus d’invisibilisation du travail des acteurs et de l’importance d’autres formes de savoirs, notamment clinique ou épidémiologique, dans la construction des prédictions, leur fiabilité devient une qualité technologique des seuls tests génétiques. Dès lors, ces derniers peuvent être sortis de leur contexte d’usage, promus et vendus sur des marchés, parés de qualités qui ne leur sont pourtant pas intrinsèques.
De fait, avec le développement des analyses à haut débit, les tests génétiques de prédiction ont connu ces dernières années une diffusion importante. Je discuterai de la fragilisation des pratiques, mises en place par les communautés professionnelles pour produire la fiabilité de ces prédictions, qui en résulte. De nouvelles formes de travail s’imposent, largement tournées autour des données, plus éloignées des patients et qui font une place bien plus large aux acteurs privés marchands, y compris dans un pays comme la France, où l’influence de ces acteurs était jusqu’à peu contenue. Je montrerai comment ces évolutions mettent à nu des arbitrages délicats autour des tests, tant du point de vue de leur utilité individuelle que des ratio coûts / bénéfices globalisés à l’échelle sociale.
Cette présentation s’appuie sur l’article : Bourgain C. et Beaudevin C. « Au-delà de la technologie : travailler à la fiabilité de la prédiction génétique ». Médecine et Philosophie. N°2 :34-39 http://medecine-philosophie.com/index.php/2020/01/07/au-dela-de-la-technologie-travailler-a-la-fiabilite-de- la-prediction-genetique/

4 novembre 2020, séance en visio-conférence
Mart KRUPOVIC
Les virus d’archée (Archaeal Virology Unit, Department of Microbiology, Institut Pasteur, France)
Living on the edge: the secrets of archaeal viruses
Viruses of archaea represent one of the most enigmatic parts of the virosphere. Most of the characterized archaeal viruses infect extremophilic hosts and display remarkable diversity of virion morphotypes, many of which have never been observed among bacteriophages or viruses of eukaryotes. However, recent environmental studies have shown that archaeal viruses are widespread also in moderate soil and marine ecosystems, where they play an important ecological role by influencing the turnover of microbial communities, with a global impact on the carbon and nitrogen cycles. During the seminar, I will present the recent advances in our understanding of the genomic and morphological diversity of archaeal viruses and the molecular biology of their life cycles and virus-host interactions. I will highlight some of the molecular adaptations underlying the stability of archaeal viruses in extremely hot acidic environments. Finally, I will examine the potential origins and evolution of archaeal viruses and discuss their place in the global virosphere.

9 décembre 2020, séance en visio-conférence
Ana SOTO (Tufts University School of Medicine, Dept Immunology ; Centre Cavaillès, Ecole Normale Supérieure de Paris)
Carcinogenesis explained within the context of a theory of organisms
Lacking an operational theory to explain the organization and behavior of matter in unicellular and multicellular organisms hinders progress in biology. Such a theory should address life cycles from ontogenesis to death. This theory would complement the theory of evolution that addresses phylogenesis and would posit theoretical extensions to accepted physical principles and default states in order to grasp the living state of matter and define proper biological observables (1).
The fundamental biological principles we proposed for the construction of a theory of organisms are: a) the default state (proliferation with variation and motility (2), b) the principle of organization which addresses the generation and maintenance of stability by closure of constraints, (3) and c) the principle of variation, which is generated both at the cellular and supracellular levels (4). Our experimental research and mathematical modeling efforts are guided by these principles.
For a century, the somatic mutation theory (SMT) has been the prevalent theory to explain carcinogenesis. According to the SMT, cancer is a cellular problem, and thus, the level of organization where it should be studied is the cellular level. Additionally, the SMT proposes that cancer is a problem of the control of cell proliferation and assumes that proliferative quiescence is the default state of cells in metazoa. In 1999, a competing theory, the tissue organization field theory (TOFT), was proposed. In contraposition to the SMT, the TOFT posits that cancer is a tissue-based disease whereby carcinogens (directly) and mutations in the germ-line (indirectly) alter the normal interactions between the diverse components of an organ, such as the stroma and its adjacent epithelium (5). The TOFT explicitly acknowledges that the default (unconstrained) state of all cells is proliferation with variation and motility. When taking into consideration the principle of organization, we posit that carcinogenesis can be explained as a relational problem whereby release of the constraints created by cell interactions and the physical forces generated by cellular agency lead cells within a tissue to regain their default state of proliferation with variation and motility. Within this perspective, what matters both in morphogenesis and carcinogenesis is not only molecules, but also biophysical forces generated by cells and tissues. Herein, we describe how the principles for a theory of organisms apply to the TOFT and thus to the study of carcinogenesis (6).

Literature cited
1. Soto AM, Longo G, Miquel PA, Montévil M, Mossio M, Perret N, Pocheville A, Sonnenschein C. Toward a theory of organisms: Three founding principles in search of a useful integration. Prog Biophys Mol Biol. 2016 122:77-82.
2. Soto AM, Longo G, Montévil M, Sonnenschein C. The biological default state of cell proliferation with variation and motility, a fundamental principle for a theory of organisms. Prog Biophys Mol Biol. 2016b Oct;122(1):16-23.
3. Mossio M, Montévil M, Longo G. Theoretical principles for biology: Organization. Prog Biophys Mol Biol. 2016;122:24-35.

6 janvier 2021
Samuel Alizon (laboratoire MIVEGEC, équipe ETE, Montpellier)
Juliette Rouchier (CNRS, LAMSADE, UMR 7243, Paris Dauphine)
Regards croisés sur les modèles de diffusion de la Covid-19
Depuis le début de la pandémie les modèles de diffusion de la covid-19 ont pris une place importante dans les débats entre épidémiologistes et professionnels de santé, les décisions de santé publique et l’information du public. Pourtant, comme le veut une boutade qui circule parmi les experts, « tous les modèles sont faux, mais certains peuvent être utiles ». Avec Samuel Alizon et Juliette Rouchier nous explorerons deux grands types de modèles : les modèles à compartiments agrégés à l’échelle des populations et les modèles agents distribués à l’échelle des individus. Nous caractériserons les avantages et les limites de chacun en tentant de cerner dans quel contexte ou à quel temps de l’épidémie l’un ou l’autre peuvent rendre les plus grands services. Nous préciserons l’intérêt, voir la nécessité d’y introduire de la stochasticité. De l’explication à la prédiction et de l’information à la décision, nous préciserons leur rôle en sciences, en santé publique et auprès des décideurs politiques.

3 février 2021 SEANCE ANNULEE
Henri Atlan (EHESS)
L’auto-immunité naturelle. L’apprentissage non supervisé par ordinateur (deep learning) comme métaphore de régulation immunitaire
L’infection par COVID-19 est plus létale chez les personnes âgées que chez les jeunes ; le décès résulte d’une réponse inflammatoire exacerbée, entraînant une tempête cytokinique et une défaillance d’organes. Nous décrivons ici la régulation immunitaire du phénotype de la réponse inflammatoire comme étant le résultat d’un processus analogue aux algorithmes d’apprentissage automatique utilisés dans les ordinateurs. Nous décrivons brièvement certaines similitudes stratégiques entre l’apprentissage immunitaire et l’apprentissage machine par ordinateur. Nous supposons qu’une réponse équilibrée à l’infection par COVID-19 pourrait être induite en traitant le patient âgé avec un répertoire d’auto-anticorps obtenu auprès de jeunes gens en bonne santé. Nous proposons qu’un ensemble d’entraînements bénéfiques puisse être suscité par ces anticorps administrés sous forme d’immunoglobulines intraveineuses (IgIV).

10 mars 2021
Franck Varenne (Université de Rouen, Département de philosophie, ERIAC EA 4705)
Modélisation multi-échelle, concepts et données : un essai d’analyse épistémologique
Nous entrons sans aucun doute dans l’ère de la modélisation multi-échelle en biologie, en particulier en biologie du développement. Les défis sont nombreux et importants (Hasenauer et al., 2015). L’un d’entre eux repose sur ce qui est apparu comme un questionnement nécessaire à tout projet de modélisation : qu’est-ce qui vient en premier ? Quels sont les éléments constitutifs du modèle ? S’agit-il de concepts ou de données ? Cet exposé se concentrera sur ce défi spécifique. A partir de l’analyse d’exemples précis, je soutiendrai l’idée que dans le nouveau contexte de la modélisation multi-échelle, cette question préliminaire impose une alternative trop grossière lorsqu’elle est posée d’un point de vue trop global appelant une réponse binaire. En effet, la modélisation multi-échelle doit non seulement se concentrer simultanément sur différentes échelles, mais, pour cela, elle doit également mettre en œuvre simultanément différents types de sources de connaissances, c’est-à-dire notamment des concepts et des données. La plupart du temps, un projet de modélisation multi-échelle doit faire des allers-et-retours entre les concepts et les données, de manière à entrelacer avec précaution les modèles “pilotés par les données” (data-driven) et ceux “pilotés par les concepts” (concept-driven), que ce soit aux mêmes échelles ou à différentes échelles. En outre, selon les échelles, les concepts des modèles “pilotés par des concepts” peuvent avoir eux-mêmes deux portées épistémiques distinctes. Les modèles pilotés par des concepts ontologiques sont fondés sur l’ontologie des éléments de l’échelle, tandis que les modèles pilotés par des concepts théoriques sont fondés sur les théories disponibles appartenant à la discipline la plus connue ou la plus performante à cette échelle. Face à cette autre dualité, les questions liées au statut épistémiques des données (par exemple : s’agit-il de mesures ou de paramétrisations ad hoc ? sont-elles biologiquement signifiantes ou non ? etc.), ne peuvent donc pas être résolues uniformément pour tous les sous-modèles d’un même modèle multi-échelle. Par conséquent, nous devons développer, tester et enseigner une méthodologie plus explicite et plus consciente de cette alternance contrôlée de concepts (selon qu’ils sont fondés sur l’ontologie ou sur la théorie) et de données si nous voulons mieux interpréter ce domaine interdisciplinaire de la modélisation multi-échelle qui connaît une croissance rapide.

7 avril 2021
Elena Rondeau (Doctorante, Immunoconcept Laboratory, CNRS UMR 5164)
Système immunitaire et métastases : comment est préparé le terrain secondaire ?
Notre compréhension actuelle du cancer bénéficie d’une reconnaissance croissante du rôle de l’environnement tissulaire sur la progression tumorale, tant localement au site initial qu’à l’échelle de l’organisme affecté par la dissémination. En effet le développement de tumeurs secondaires, ou « métastases », qui sont responsables de la plupart des décès liés au cancer, fait intervenir de nombreux acteurs cellulaires et moléculaires de l’hôte. Nous nous intéressons plus particulièrement au phénomène de spécificité tissulaire des métastases (ou « organotropisme »), décrivant la sélectivité du site secondaire en fonction du type de tumeur primaire.
Dans ce cadre, nous proposons un projet d’analyse interdisciplinaire en onco-immunologie conceptuelle et expérimentale, qui articule deux aspects :
i) D’une part, une réflexion conceptuelle sur le façonnement historique de notre compréhension biologique des métastases, ainsi que sur l’implication complexe du système immunitaire ;
ii) D’autre part, une approche expérimentale permettant de travailler sur la caractérisation de certains de ces acteurs immunitaires pro-métastatiques.
Notre analyse historique vise à étudier l’héritage scientifique de l’analogie du « seed and soil » (ou « graine et terreau »), proposée à la fin du 19e siècle (Paget 1889) pour décrire la compatibilité entre cellules tumorales circulantes (le « seed ») et futurs sites métastatiques (le « soil »). Dès lors, les découvertes plus récentes de « niches pré-métastatiques » (établissement précoce d’un terrain favorable à la croissance tumorale secondaire par plusieurs facteurs résidents ou recrutés), et du rôle primordial du système immunitaire, permettent de raffiner la théorie et d’en extraire une appréciation plus exhaustive des facteurs promouvant la progression tumorale.
Nous nous intéressons plus particulièrement au rôle des cellules myéloïdes suppressives, qui s’accumulent dans certains cas au niveau de la tumeur primaire et du site métastatique, où elles exercent des fonctions immunosuppressives, pro-tumorales et pro-invasives. Il s’agit de caractériser, dans un modèle murin de cancer mammaire à dissémination spécifiquement pulmonaire, leur dynamique de recrutement et leurs spécificités fonctionnelles.

12 mai 2021
Meredith Root-Bernstein (CNRS, Museum National d’Histoire Naturelle)
Des choses qui ne sont pas vivantes mais qui peuvent l’être d’une certaine manière
Je reconsidère ici quatre choses qui ne sont pas vivantes mais qui peuvent l’être d’une certaine manière, et comment on peut les imaginer à travers les genres. Je propose que “qu’est-ce que la vie” soit la mauvaise question, et qu’une meilleure question pourrait être “en relation avec quoi est-on vivant”. Je me penche sur les virus, les minéraux, les écologies et les matériaux animés. Pour y réfléchir, je m’appuie sur la théorie ribosomale de la vie et sur certaines de ses implications pour l’évolution écologique, ainsi que sur la théorie anthropologique de l’animisme. Chacun de ces objets d’étude est soit marginal mais aussi constitutif de la vie (virus, minéraux, écologies), soit participe à la vie par une interaction avec un autre type de vie (virus, matériaux animés), soit approche la vie de multiples angles (minéraux, écologies, matériaux animés). Une étude de la vie capable de reconnaître la vie au-delà de la Terre devrait poser des questions sur les différences de vitalité entre les registres et les relations.

2 juin 2020, séance en visio-conférence, pour obtenir le lien de connexion, contacter les organisateurs.
Barbara STIEGLER (Université Bordeaux Montaigne)
S’adapter : un dévoiement de la pensée darwinienne dans le néolibéralisme ?
Contrairement à ce que soutenait Michel Foucault dans ses cours au Collège de France, le néolibéralisme n’est pas un anti-naturalisme. Il s’est au contraire nourri de sources biologiques, venues à la fois du darwinisme et de sa réinterprétation par les grandes philosophies évolutionnistes de la première moitié du 20ème siècle (Spencer, Bergson et le pragmatisme américain). Mais en se nourrissant de catégories darwiniennes (adaptation, évolution, sélection, mutation, compétition), le néolibéralisme a en réalité trahi les leçons essentielles de l’Origine des espèces. C’est en tout cas l’un des axes de la critique pragmatiste du nouveau libéralisme menée pendant deux décennies par Dewey et contre Lippmann, qui tire de tout autres conséquences sociales et politiques du « laboratoire expérimental de la vie ».

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