Imaginez deux amis, passionnés de philosophie, échangeant des lettres et des idées à travers l’océan Atlantique à la fin du 19ème siècle. L’un est américain, William James, jeune chercheur en quête de sens. L’autre est français, Charles Renouvier, philosophe reconnu, ardent défenseur de la liberté. Leur histoire, racontée par Mathias Girel dans William James et Charles Renouvier Liberté, phénoménisme et « vampirisme philosophique », nous plonge au cœur d’une amitié intellectuelle marquée par des influences mutuelles, mais aussi par des désaccords qui révèlent la complexité de la pensée humaine.
Renouvier, la bouée de sauvetage de James
En 1870, James traverse une profonde crise existentielle. Le monde lui semble absurde, le déterminisme règne en maître, laissant peu de place à la liberté individuelle. C’est alors qu’il découvre les écrits de Renouvier, qui défendent avec passion l’idée de libre arbitre. Cette rencontre est une révélation pour James. Il retrouve l’espoir, la volonté de croire en un avenir où l’homme est maître de ses choix.
Le monde selon Renouvier
Renouvier voit le monde comme un ensemble de relations, où tout est connecté. Pour lui, la réalité se limite à ce que nous percevons, à nos représentations. Cette vision, appelée phénoménisme, offre une alternative au déterminisme, cette idée que tout est prédestiné. Si la réalité est construite par nos perceptions, alors il y a peut-être une place pour la liberté, pour la possibilité de changer le cours des choses.
La liberté, un acte de foi
Renouvier ne prétend pas prouver l’existence de la liberté de manière absolue. Il propose plutôt une solution pratique : affirmer la liberté par elle-même. C’est un acte de foi, un choix conscient de croire en notre capacité à agir sur le monde. Cette idée séduit James, qui l’intègre à sa propre philosophie.
La Critique philosophique, le tremplin de James
La revue de Renouvier, la Critique philosophique, devient un espace d’expression privilégié pour James. Ses premiers articles y sont traduits et diffusés, lui permettant de se faire connaître en France. C’est le début d’une amitié intellectuelle fructueuse, où les deux philosophes échangent leurs idées et s’influencent mutuellement.
Des points communs…
James et Renouvier partagent une vision du monde ouverte et pluraliste. Ils rejettent l’idéalisme absolu, cette idée d’une réalité unique et immuable. Ils reconnaissent l’existence du mal, mais croient en la possibilité d’améliorer le monde, de le rendre meilleur. C’est ce qu’on appelle le méliorisme, une attitude optimiste face aux défis de l’existence.
… et des différences
Malgré ces points communs, des divergences apparaissent. Renouvier critique la psychologie de James, notamment sa conception de la conscience comme un flux continu. Pour Renouvier, la conscience est structurée, organisée par des catégories qui nous permettent de comprendre le monde de manière rationnelle.
La conscience, pomme de discorde
James, quant à lui, défend l’idée d’une conscience fluide, en perpétuel mouvement. Il s’oppose à l’idée d’une conscience naturellement discontinue, morcelée. Ce désaccord illustre la distance grandissante entre les deux philosophes, chacun développant sa propre vision du monde.
Conclusion : un héritage complexe
La relation entre James et Renouvier est un exemple fascinant d’échanges intellectuels à travers les frontières. Si Renouvier a joué un rôle crucial dans la reconnaissance de James, leurs divergences montrent que chaque penseur a sa propre voix, sa propre manière d’appréhender le monde.
La conception de la liberté chez James est marquée par l’influence de Renouvier, mais aussi par ses propres réflexions. Il dépasse le cadre défini par son ami français, explorant de nouvelles voies philosophiques.
L’histoire de James et Renouvier nous rappelle que la philosophie est un dialogue sans fin, une quête de vérité où chaque voix compte. Elle nous invite à réfléchir sur notre propre liberté, sur notre capacité à agir sur le monde et à construire notre propre destin.
Alors, la prochaine fois que vous vous sentirez dépassé par les événements, rappelez-vous de James et Renouvier. Rappelez-vous que la liberté est un choix, un acte de foi en notre capacité à faire la différence.
* Cet article se réfère au texte de Mathias Girel William James et Charles Renouvier Liberté, phénoménisme et « vampirisme philosophique ». Dans : Chine France – Europe Asie, Itinéraires de concepts, Michel ESPAGNE (dir.) et LI Hongtu (dir.) Éditions Rue d’Ulm, Collection Les Rencontres de Normal Sup’, 2018