République des Savoirs

Laboratoire transdisciplinaire du CNRS, ENS et du Collège de France

Séminaire : “Décoloniser la Pensée : Regards autochtones”


Détails de l’événement

Cet événement s’est terminé le 13 mai 2024


Adresse :
ENS – 45, rue D’Ulm – Paris Ve

 

Présentation

La colonialité du pouvoir reste active sur le plan mondial, mais comment la démanteler ? Le séminaire “Décoloniser la pensée : regards autochtones” part des théories postcoloniales et décoloniales en vue de constituer un espace de convergence des pensées et luttes avec l’Autre radical contre lequel la Modernité s’est construite : l’ « Amérindien » (Toledo 2021 ; Blanco, Delgado 2021). Nous souhaitons aller au-delà, en invitant aux séances du séminaire des répresentant.e.s des peuples autochtones de divers continents. Compte-tenu de l’exclusion des peuples autochtones de l’architecture du pouvoir et de la raison moderne, la co-construction d’un monde avec la vision politique des peuples autochtones est susceptible de constituer l’alternative radicale envisagée (Quijano 2020). Le séminaire vise à réfléchir à la construction de sa mise en œuvre.
 

Programme

 

  • 13 mai 2024, 18h-20h, Salle Simone weil
    Intervenante : Adriana Fernandes Carajá (Korã) (peuple Karirí-Sapuyá), doctorante en Anthropologie à l’université fédérale du Minas Gerais (Brésil) et à l’université Paris 8.
     
    Titre de l’intervention : « Diálogos com seres mais que humanos: cosmologia indígena no enfrentamento à colonização » (Dialogues avec des êtres plus-que-humains : cosmologie autochtone dans la confrontation à la colonisation).
     
    Résumé : Les peuples autochtones vivent souvent près d’un fleuve. Dans de nombreuses cultures, le fleuve est une divinité, étant cosmologiquement lié aux modes d’existence et de vie. En France, la découverte de l’importance du fleuve semble récente. Au vu des Jeux Olympiques, des investissements colossaux sont entrepris pour le rétablir après l’avoir tué. Une grande discussion se produit autour d’y mener l’ouverture de l’événement. Les gens aiment être près d’un fleuve, mais ne savent peut-être pas pourquoi. Au Brésil, dans l’État du Minas Gérais, après deux désastres environnementaux provoqués par la rupture des barrages sous la responsabilité des industries minières, une certaine proximité du fleuve est devenue un critère pour être considéré comme sinistré ou pas. Pourtant, tout dédommagement est pensé ultérieurement ou tardivement. Dans ce cas, ce qui est étonnant est que le fleuve est considéré comme le critère pour être sinistré, mais a besoin lui-même de revendiquer sa propre condition de “sinistré”. Les cas décrits illustrent comment les êtres-plus-que-humains peuvent être mobilisés dans des contextes divers. Dans des situations de tragédies environnementales telles que les inondations et les tsunamis, les êtres-plus-que-humains sont souvent accusés/criminalisés pour les désastres, l’homme est tenu par victime et la nature par méchante et autrice des supposés crimes. Pour au-delà des êtres aquatiques, lors de mon séjour à Paris, pour mener un échange, en tant que femme chamane il a été très difficile de réussir à écouter les Enchantés, le processus a été long et défiant. J’observe comment la vie des pigeons et des êtres de la nature est souffrante et en même temps résistance en région parisienne. En outre, lors de mes visites à des musées, en particulier au Muséum d’Histoire Naturelle, j’ai pu constater une choquante hiérarchisation de la vie : qui aurait pu exposer des corps humains tels que les corps des êtres-plus-que-humains sont exposés ? Ils ne perçoivent même pas forcément qu’ils hiérarchisent même les êtres de la nature. Qu’est-ce que révèlent la cosmologie amérindienne et le dialogue avec les êtres-plus-que-humains ? Qu’ils sont des agents politiques et sont en train d’agir sur les humains pour défendre la nature.
     
    Biographie : Chamane du peuple Karirí-Sapuyá. Étudiante en doctorat en Anthropologie Sociale (PPGAn / UFMG et Bourse Guatá / Université Paris 8). Master au Programme de Promotion de Santé et Prévention de la Violence (Faculté de Santé / université fédérale du Minas Gerais – UFMG), licence en Soins Infirmiers. Centrée aux études anthropologie, militante active dans la lutte autochtone, les questions de genre, santé, famille et maternité. Intégrante de l’Observatoire des Politiques et Soins en Santé de l’UFMG au Brésil. Développe en ce moment des recherches sur les articulations entre les Études Féministes, les Études de Genre et l’Ethnologie Autochtone. Expérience dans le domaine de l’Anthropologie, emphase en Ethnologie Autochtone, surtout sur les thèmes : identité ethnique, dynamiques territoriales, flux culturels, performance et rituels, présence autochtone dans des contextes urbains, actions publiques, droit autochtone et santé autochtone.
    Pour en savoir plus : https://www.youtube.com/watch?v=1lE4G6BD-A8 et un article : http://icts.unb.br/jspui/handle/10482/37520

 

  • 22 avril 2024, 18h-20h, Salle d’Histoire
    Intervenant : Mairu Hakuwi Kuady (peuple Iny – Karajá), doctorant en Droit à l’université de Brasilia et à l’université Paris 8.
     
    Titre de l’intervention : “A presença e a participação dos povos indígenas na política nacional brasileira e no cenário internacional” (La présence et la participation des peuples autochtones dans la politique nationale brésilienne et dans la scène internationale).
     
    Résumé : La présence des peuples autochtones dans la politique nationale brésilienne est une réalité très récente, qui date des années 1990. L’histoire du Brésil et de toute sa construction en tant qu’État national, n’a pas considéré la participation, la présence et la contribution des peuples autochtones, car elle nous comprenait comme incapables. Tout ce projet politique a été dessiné à partir d’un modèle de politique intégrationniste et assimilationniste. Lors de l’histoire récente, une pression importante a lieu pour que nous ayons un espace, une voix et un tour dans la politique. Il s’agit d’une longue et dure histoire qui remonte à l’année 1500 pour que nous arrivions jusqu’ici, pour toute une génération qui a résisté pour que nous étions vivants et racontions notre véritable histoire.
     
    Biographie : Autochtone du peuple Iny – Karajá, Mairu Hakuwi Kuady est licencié en Relations internationales à l’université fédérale du Tocantins, où il a participé au Programme d’éducation tutorial – Conectando Saberes (PET) [en connectant les savoirs]. Membre de l’Observatoire des droits et politiques pour les peuples autochtones à l’UnB (OBIND), il a également intégré le Programme de Développement de Leaders Noir(e)s et Autochtones, étant également boursier du Indigenous Fellowship Programe (ACNUDH), chercheur à l’Institut de Politiques relationnelles et Armazém Memória, au Centre de Référence Virtuelle Autochtone. Il est diplômé d’un Master en Droit à l’UnB et se trouve actuellement en mobilité à l’université Paris 8 dans le cadre du Programme Guatá en tant que chercheur. Il a été coordinateur du projet Ilha do Bananal+ auprès des peuples Iny Karajá, Javaé e Awã e professeur bénévole d’Inyrybè, langue maternelle du peuple Iny Karajá.

 

Organisation

Soutenu par la Chaire Géopolitique du Risque, le Centre Cavaillès et la République des Savoirs, le Séminaire est co-organisé par Willy Ramos Delvalle (doctorant en science politique à l’École normale supérieurePSL) et Lissa Lincoln (Associate Professor, American University of Paris, membre associé République des Savoirs (PhilOfr) ).
 

Contacts

willy.ramos.delvalle@ens.psl.eu ; llincoln@aup.edu
 

Contexte

Depuis la perspective décoloniale, la conquête des sociétés et cultures de celle qui est aujourd’hui appelée « Amérique latine » a donné lieu à la Colonialité du Pouvoir Mondial, soit la constitution d’un ordre mondial aboutissant à un pouvoir global qui articule toute la planète, autour notamment d’hiérarchies globales inter-connectées autour des traités du colonisateur : un homme blanc, européen, capitaliste, militaire, chrétien, patriarche, hétérosexuel (Quijano 1992; Grosfoguel 2007; Blanco et Teixeira Delgado 2021).
 
Si le début de ce processus a provoqué une « brutale concentration de ressources du monde », au bénéfice et sous le contrôle d’une minorité Européenne, de ses classes dominantes en particulier, cette dynamique ne s’est pas inversée aujourd’hui (Quijano 1992) . Le bloc impérial s’est étendu depuis vers leurs descendants euro-nord-américains, le Japon, la Russie et la Chine, en entraînant la multiplication des crises de ce pouvoir, à l’exemple du réchauffement climatique, en produisant une re-concentration du contrôle du pouvoir, au détriment notamment des peuples exploités et dominés de l’Amérique Latine et de l’Afrique (Quijano 1992; 2020; 1999)
 
Anibal Quijano et Edward Saïd ont démontré que le fondement de la domination mondiale occidentale relève de la production d’un Autre, tant l’Orient que l’Extrême Occident, « rendu subalterne, dont l’humanité est dépendante de la position historique et épistémologique d’une Europe illustrée, qui, au moment de son expansion, apporte la civilisation aux peuples pré-modernes » (Nogueira 2021, 14). Ramon Blanco et Ana Cristina Teixeira Delgado montrent que la cristallisation de la colonialité du pouvoir international repose sur le rapport entre le Moi Européen et l’Autre Amérindien, soit l’Autre absolu de la Modernité (Blanco et Teixeira Delgado 2021).
 
Par quels aspects cette architecture de pouvoir prend forme et comment la démanteler ? Le séminaire « Décoloniser la pensée : regards autochtones » part des théories postcoloniales et décoloniales en vue de constituer un espace de convergence des pensée et luttes avec l’Autre radical contre lequel la Modernité s’est construite : l’ « Amérindien ». Mais il est souhaité d’aller au-delà, en invitant à intervenir aux séances du séminaire des répresentant.e.s des peuples autochtones du monde, dans la mesure du possible. La persistance de l’imagerie des peuples autochtones dans les Amériques a constitué, selon Anibal Quijano, le socle d’une utopie de réciprocité, de solidarité et de démocratie directe. En considérant la quasi destruction des peuples autochtones pour soumettre l’ensemble des populations de planète sous l’architecture du pouvoir et de la raison moderne (Quijano 1999), la co-construction d’un monde avec la vision politique des peuples autochtones est ainsi susceptible de constituer l’alternative radicale envisagée.
 

Références

  • Blanco, Ramon, et Ana Carolina Teixeira Delgado. 2021. « Problematizando o Outro Absoluto da Modernidade: A Cristalização da Colonialidade na Política Internacional ». In Perspectivas Pós-coloniais e Decoloniais em Relações Internacionais, édité par Aureo Toledo, 125‑55. Salvador: EDUFBA.
  • Grosfoguel, Ramón. 2007. « The epistemic decolonial turn ». Cultural Studies 21 (mars): 211‑23. https://doi.org/10.1080/09502380601162514.
  • Nogueira, João Pontes. 2021. « Prefácio ». In Perspectivas Pós-coloniais e Decoloniais em Relações Internacionais, édité par Aureo Toledo. Salvador: EDUFBA.
  • Quijano, Aníbal. 1992. « Colonialidad y Modernidad/Racionalidad ». Perú Indígena 13 (29): 11‑20.

———. 1999. « Colonialidad Del Poder, Cultura Y Conocimiento En América Latina ». Dispositio 24 (51): 137‑48.

———. 2020. « “Bien Vivir”: Entre el “desarrollo” y la Des/Colonialidad del Poder ». In Cuestiones y horizontes, 937‑52. de la dependencia histórico-estructural a la colonialidad/descolonialidad del poder. CLACSO. https://doi.org/10.2307/j.ctv1gm019g.33.
Photographie réalisée par Kuliw